ã  Lydia Harambourg

Historienne de l’art

Correspondant de l’Institut, Académie des Beaux-Arts

La peinture de Christian Lu vient d’un lointain ancestral enfoui dans la mémoire des gestes, dans le murmure d’une connaissance transmise depuis des millénaires, sa peinture est dans la part secrète et inaccessible dont seul l’artiste connaît l’infinie plénitude pour répondre à la profondeur de sa vision.

Rien de l’agitation du monde ne peut le distraire de ce qu’il ressent comme une mission à accomplir dans sa démesure autant que dans son intimité. Le voilà pénétré d’un univers dont la gageure n’est rien moins que de se mettre de plain-pied avec le Grand Tout, avec le cosmos dont il entend monter les résonances auxquelles devra répondre sa peinture. Il s’apprête à entreprendre un voyage intérieur dans la toile.

Ses références ancestrales ne doivent pas le paralyser. Les chemins sont pluriels pour faire monter au grand jour la somptuosité d’une nature transfigurée par sa perception sensible. Le paysage est un et multiple. Alors que le peintre occidental le décrit, le peintre chinois le vit intimement, nourri de ses impressions. Christian Lu n’est jamais dans la description, ni dans la transposition d’un paysage, mais dans un espace pictural en parfaite osmose avec l’espace réel sur lequel il pèse de toute sa vérité de peintre afin qu’advienne un paysage intérieur.

Sa proximité avec la nature déclenche une complicité génésique pour autant qu’elle se fait la complice d’échanges émotionnels. Sur les cimes des montagnes, sur l’eau du lac, dans le cours des nuages et la brume du matin, l’esprit voyage et le pinceau du peintre chinois les traduit en incluant sa part intime.

L’allusion poétique prévaut sur l’image. Dans la mesure où Christian Lu est l’héritier et le continuateur de ses ancêtres, les grands paysagistes et les calligraphes, est-il pour autant un peintre de la tradition ? Il entreprend une circulation libre entre l’univers et soi qui donne une résonnance singulière à son  œuvre. Son encragese fait à la frontière de l’art naturaliste et de l’art abstrait. L’intimité quasi-physique avec le paysage, ultérieurement intériorisé, et la force émotionnelle portent en eux les éléments de son futur univers plastique. Des deux cultures naît sa peinture dont aujourd’hui nous pouvons affirmer qu’elle l’incarne pleinement.

Très vite sa maîtrise calligraphique transgresse la règle sans la trahir. Son geste est d’abord conducteur d’énergie. Le vide est le souffle vital, l’expression inconsciente de son âme. L’encre l’interroge à partir de flux et reflux d’éléments graphiques rebelles à toute interprétation dans un jeu où il ne s’agit pas de reconnaître mais de s’unir à la respiration universelle. La tache, forme flottante s’écrase, s’effiloche en fibres capillaires, tandis que l’encre s’intensifie, travaillée en demi-tons, et se fluidifie jusqu’à la transparence dans un subtil travail de lavis aux effets contrastés.

Ce voyage au centre de lui-même Christian Lu le poursuit avec la peinture qui exige une autre discipline. La patience. Les fonds préparés, les superpositions de couches à l’acrylique travaillées en glacis sont des apports occidentaux auxquels recourt Christian Lu pour interpréter les thèmes ancestraux  du répertoire chinois dans une vision cosmique.

Il travaille à l’avènement de la peinture, une et indivisible, aux métamorphoses du paysage sous les poussées des sédiments, des turbulences domptées dans des coulures aux arborescences infinies. La peinture suggère des harmoniques intérieures à l’unisson de celles de l’homme. Elle réinvente les montagnes et l’océan, les fractures terrestres, les flancs des collines taraudées par l’humus, les vallées verdoyantes, les gouffres marins, les espaces illimités soumis aux perpétuelles tractions lumineuses. Son imaginaire lui offre une incroyable palette de couleurs aux nuances multiples, toute la richesse des moirures retrouvées pour communier avec le règne naturel.

Le voyage est dans une double immersion du peintre et de nous-mêmes. Le peintre approfondit son errance dans un paysage indéfini. La matière devient de plus en plus onctueuse, ductile et transparente avec des dégradés stratifiés de la lumière d’un effet troublant. Il ressuscite la matrice, l’univers originel, l’horizon du cosmos dans sa trajectoire. La figuration traditionnelle a vécu. Elle cède devant la vérité substantielle. Sans jamais les nommer, les éléments constitutifs de l’univers sont des présages appelant à la méditation. Leur reconnaissance subjective se fortifie d’une symbolique à l’unisson de l’intuition. Christian Lu travaille à ce que les dualités, de plein et de vide, de rythme et de mouvement, d’ombre et de lumière nous incitent à pénétrer plus encore dans les effets de matière pour aller à la rencontre d’un au-delà invisible. 

 

Il oscille entre nature et remémoration, entre rêverie et imaginaire. Ces horizons lointains, toujours repoussés sont des champs poétiques appelés à une dissémination chromatique et musicale. Nous voici aux confins d’une rêverie aux accents cosmogoniques. Sa peinture naît d’une double intervention, consciente et inconsciente, transcendée par son geste, unique et atemporel.