Réflexion sur la connotation et la légitimité de différentes civilisations dans la peinture de Christian Lu

Lü Peng

18 novembre, 2014

Ces dernières années, la « nouvelle peinture à l’encre » est dans l’air du temps en Chine. Collectionneurs, critiques ainsi que les experts spécialisés en histoire de l’art témoignent tous d’un très grand intérêt pour ce nouveau concept.

Comme certaines œuvres, réalisées par une nouvelle génération d’artistes, sont très cotées, cette nouvelle forme artistique attire l’attention d’un vaste public. L’opinion est cependant divisée. Pour certains, cette nouvelle peinture à l’encre s’inscrit dans la continuité de la peinture à l’encre traditionnelle. Pour d’autres, elle est issue de l’encre traditionnelle, mais elle lance en réalité une vraie révolution contre cette dernière. Elle traduit en effet différentes idéologies et intentions artistiques remettant en question la tradition ancienne.

Si nous utilisons à dessein le terme nouvelle tradition, c’est que nous restons dans la tradition révolutionnaire façonnée par le mouvement du 4 mai, le mouvement d’occidentalisation de 1861 à 1895 et la réforme de 1898. Pour se faire une juste idée de l’histoire chinoise de 1919, il faudrait remonter à l’an 1840, où a été déclenchée la première guerre de l’opium. Après l’Occident ? Sommes-nous  toujours des élèves ? Devons-nous continuer à nous instruire auprès de l’Occident de façon répétitive ? Pendant ces 150 ans, pendant que notre calligraphie ne subissait que peu l’influence de l’Occident, la peinture traditionnelle chinoise a subi un renouvellement violent. Les peintres comme Zhang Daqian et Xu Beihong, de styles très différents, font historiquement partie d’une même époque et partagent les mêmes revendications. A une époque où les pensées, les systèmes, les cultures et les langues de l’Occident affluaient en Chine, tout était à changer. Toutefois la dispute sur la métaphysique et la physique était  toujours présente. Fallait-il utiliser le pinceau et l’encre pour exprimer les nouvelles pensées et décrire le nouveau monde, ou bien se servir des matières de la peinture occidentale pour renouveler les mentalités chinoises ? Voilà une question inévitable à la réponse pour tous les artistes chinois influencés par l’art occidental.

Zhang Daqian et Xu Beihong ont commencé par apprendre la peinture traditionnelle chinoise, puis, plus ou moins tard, adhérés à la peinture occidentale. Zhang Daqian pensait pouvoir mettre l’occidentalisation au service du national, mais Xu Beihong comme pour les réformistes de 1898, se munir des techniques avancées était le moyen de se rendre puissant. Nous avons choisi ces deux personnages en tant que points de repères pour évaluer la création de Christian Lu. Avec son maître Zao Wou-ki, il fait partie de cette nouvelle tradition.

Christian Lu est issu d’une famille d’intellectuels et a connu de nombreux grands peintres et calligraphes lorsqu’il habitait à Shanghai. Avec cette expérience puis avec ses études à Paris, il nous fait penser à ceux qui ont réalisé le grand changement de la peinture chinoise dan les temps modernes. Il doit son évolution décisive à Zao Wou-ki qui a exercé une influence décisive sur la forme de ses œuvres. Toutefois, contrairement à son maître, Christian Lu a gardé la base de sa culture chinoise. En effet, Zao Wou-ki, membre de l’académie française des beaux-arts, s’était engagé comme François Cheng, autre membre de l’académie, dans une fusion complète avec la culture occidentale ; seule voie, pensait-il pour se faire accepter totalement de l’Occident.

Le problème reste entier, faut-il se servir des matières de la peinture occidentale pour décrire l’image chinoise, ou se servir des matières de la peinture chinoise pour exprimer l’esprit et l’image occidentale ? Certaines artistes chinois contemporains ont tenté sans succès la première voie, la nouvelle peinture à l’encre suit plutôt la seconde voie. Les créations de Christian Lu n’ont en apparence aucune différence avec la peinture abstraite, mais ceux qui connaissent bien la peinture traditionnelle chinoise découvrent l’esprit qui l’habite. Il faut donc se demander simplement si la peinture traditionnelle chinoise se caractérise par l’encre de Chine qu’il utilise ou par l’esprit présent à travers cette matière. Cette question mérite réflexion et la création de Christian Lu nous aide à comprendre. Ces dernières années le monde intellectuel réfléchit et discute sur la légitimité des concepts labélisés par le mot « Chinois » comme par exemple : Philosophie chinoise. En étudiant l’histoire de l’introduction de la culture occidentale, en Chine pendant 150 ans, les intellectuels ont entrepris une recherche archéologique sur la pensée des Chinois. Ce genre de recherche doit également s’appliquer à l’évolution de la peinture. D’une certaine manière, les artistes originaires de la Chine installées en Europe et Amériques jouissent d’une certaine protection grâce à leur distance avec le milieu artistique chinois. Leurs œuvres, comme celles de Christian Lu, présentent une valeur spéciale due à un développement qui leur est propre, résultat de la globalisation.